La tension va crescendo, en CĂ´te d’ivoire. Les leaders politiques se sont lancĂ©s dans une guerre mĂ©diatique qui pourrait donner lieu Ă des manifestations. Officiellement, une quinzaine de personnes sont mortes lors des manifs d’aoĂ»t.
A environ un mois de la PrĂ©sidentielle, l’opposition ivoirienne avance en rangs serrĂ©s pour faire barrage au troisième mandat d’ADO. L’initiateur de cette union des forces n’est autre que Guillaume Soro, ancien PrĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale.
En exil depuis le 23 dĂ©cembre 2019, l’homme cristallise les attentions, depuis quelques mois dĂ©jĂ . Il s’est montrĂ© plus offensif, depuis le rejet de sa candidature, le 14 septembre 2020. A l’en croire, le schĂ©ma de lutte de l’opposition est clair et s’articule autour de la dĂ©sobĂ©issance civile. Un mode validĂ© la semaine dernière par les candidats BĂ©diĂ© et N’Guessan.
Dans l’Ă©mission « Objection » de Sud Fm, Guillaume Soro prĂ©cise: « La dĂ©sobĂ©issance civile peut se traduire par un mot d’ordre de ville morte, de marche, de manifestation ou de sabotage. Nous avons d’abord dĂ©fini le cadre des manifestations que nous allons engager sur le terrain. L’opposition est en train de s’organiser pour dĂ©terminer avec exactitude l’action et le mot d’ordre prĂ©cis que nous allons lancer. » Il est convaincu que le peuple de CĂ´te d’Ivoire se mobilisera « comme un seul homme » pour dire non au troisième mandat.
Toutefois, les opposants ne s’accordent pas sur le boycott ou non du scrutin. Pendant que Pascal Affi N’Guessan, candidat du Front populaire ivoirien (FPI), a annoncĂ© qu’il n’irait pas aux urnes, si les conditions ne sont pas « justes et transparentes », Henri Konan BĂ©diĂ© n’aborde pas la question. Lui se limite Ă la dĂ©sobĂ©issance civile. Pourtant, selon Soro, « toute l’opposition est unanime pour ne pas aller Ă ces Ă©lections. Monsieur Ouattara ira tout seul Ă ces Ă©lections ».
Echec de plusieurs médiations
Depuis le dĂ©but des manifestations (6 aoĂ»t 2020), aucune mĂ©diation n’a pu rĂ©tablir le calme. La dernière tentative a tout bonnement Ă©chouĂ©. ADO a refusĂ© de recevoir une dĂ©lĂ©gation composĂ©e de la CommunautĂ© Ă©conomique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de l’Union africaine et de l’Union europĂ©enne. Seul Mohamed Ibn Chambas, reprĂ©sentant spĂ©cial du secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’Onu, a pu rencontrer le prĂ©sident. « On n’attend pas grand-chose de la CEDEAO, parce qu’elle est plombĂ©e. Monsieur Ouattara affirme Ă Abidjan qu’il est l’ami de tous les chefs d’Etat de la sous-rĂ©gion et qu’ils ont un syndicat de chefs d’Etat solidaires entre eux. Donc, il ne voit pas lequel viendra contester sa posture. De toute façon, c’est une CEDEAO des chefs d’Etat et non une CEDEAO des peuples. Ce qui est dommage », a dĂ©clarĂ© G. Soro au cours de l’entretien.
Il estime que les Ivoiriens ne doivent rien attendre de la communautĂ© internationale, mais se libĂ©rer eux-mĂŞmes. Il se trouve Ă©galement que les dĂ©cisions de justice de la Cour africaine des Droits de l’homme et des peuples ont Ă©tĂ© ignorĂ©es par Abidjan. Elle a demandĂ© la rĂ©intĂ©gration dans le processus Ă©lectoral de Guillaume Soro et de Laurent Gbagbo.
Mais, selon le rĂ©sident Alassane Ouattara, « cette dĂ©cision est nulle et de nul effet. Nous ne l’appliquerons pas et n’avons pas l’intention de l’appliquer ».
Dans ce contexte de tensions et d’incertitudes, le prĂ©sident de GĂ©nĂ©ration et peuples solidaires (GPS) est catĂ©gorique: « Il n’y aura pas d’Ă©lection en CĂ´te d’ivoire le 31 octobre, parce que le peuple va se soulever et s’opposer Ă cette Ă©lection. Il faut que M. Ouattara se retire et nous n’allons pas nĂ©gocier. Donc, il n’y a rien d’autre Ă espĂ©rer. Il n’y aura pas d’Ă©lection en CĂ´te d’Ivoire. Nous n’accepterons pas cette Ă©lection, tant que nos revendications prĂ©alables ne sont pas rĂ©glĂ©es. On ne parlera pas cette annĂ©e de crise de post-Ă©lectorale, mais plutĂ´t de crise préélectorale ».
En termes de conditions, l’opposition rĂ©clame la dissolution du Conseil constitutionnel et de la Commission Ă©lectorale indĂ©pendante, la reprise totale du processus Ă©lectoral, la libĂ©ration de tous les prisonniers politiques, ainsi que le retour de tous les exilĂ©s politiques.
« J’ai Ă©vitĂ© de contacter le prĂ©sident Macky Sall »
A la question de savoir ce qu’il en est de l’implication du prĂ©sident Macky Sall dans cette lutte contre le troisième mandat, Soro n’y est pas allĂ© par quatre chemins. « Pour ĂŞtre franc, j’ai Ă©vitĂ© de contacter le prĂ©sident Macky Sall, depuis plus d’un an. Je ne voulais pas le gĂŞner, car je connais le prĂ©sident Ouattara qui est une personne inĂ©lĂ©gante et abrupte. La preuve, il a ordonnĂ© Ă Alpha CondĂ© de ne pas me recevoir en GuinĂ©e. Donc, je n’ai pas voulu mettre le prĂ©sident Macky Sall dans une posture inconfortable et embarrassante pour lui. Je me battrai avec le peuple de CĂ´te d’Ivoire pour devenir prĂ©sident de mon pays ».
Dans la mĂŞme veine, il demande aux SĂ©nĂ©galais de continuer Ă prier pour la CĂ´te d’Ivoire et de se tenir debout aux cĂ´tĂ©s du peuple ivoirien. « Ouattara est en train de dĂ©truire la CĂ´te d’Ivoire et va l’amener Ă une guerre intercommunautaire. La question du troisième mandat n’est pas un problème uniquement ivoirien, c’est un problème qui se pose en Afrique. Et on doit se battre pour y mettre fin dĂ©finitivement. Le peuple sĂ©nĂ©galais, le peuple burkinabĂ©, le peuple malien, le peuple guinĂ©en doivent soutenir les Ivoiriens dans leur lutte contre les prĂ©sidences Ă vie. On ne peut pas accepter que des chefs d’Etat qui prennent nos peuples pour des abrutis, contournent nos constitutions, les tripatouille pour rester indĂ©finiment au pouvoir. Ce n’est pas possible. Il faut qu’on nous respecte », a-t-il martelĂ©.
La polémique constitutionnelle
La Constitution ivoirienne, aujourd’hui source de conflits, limite Ă deux le nombre de mandats prĂ©sidentiels (article 55, nouvelle Constitution votĂ©e en 2016). L’article 183, sujet Ă multiples interprĂ©tations, stipule: « La lĂ©gislation actuellement en vigueur en CĂ´te d’Ivoire reste applicable, sauf intervention de textes nouveaux, en ce qu’elle n’a rien de contraire Ă la prĂ©sente Constitution. »
L’idĂ©e donc d’un troisième mandat est anticonstitutionnelle, de l’analyse de plusieurs constitutionnalistes. Ils affirment qu’il y a une continuitĂ© lĂ©gislative, donc pas de suspension. En d’autres termes, les dispositions constitutionnelles antĂ©rieures qui ne sont pas contraires aux nouvelles, ne sont pas abrogĂ©es.
Cependant, pour la majoritĂ© prĂ©sidentielle, les compteurs sont remis Ă zĂ©ro. Pour cause, la Constitution de 2000 a Ă©tĂ© abrogĂ©e par celle de 2016 et ouvre l’ère de la troisième RĂ©publique. Sur les ondes de Sud FM, l’ancien alliĂ© du prĂ©sident Ouattara affirme que ce dernier a « fait preuve de tromperie ». « Quand nous votions la Constitution ivoirienne, la main sur le coeur, M. Ouattara a jurĂ© que jamais il ne briguerait un troisième mandat. Malheureusement, il nous a trompĂ©s et personne n’est immunisĂ© contre une tromperie. Le vrai problème du troisième mandat, c’est que certaines personnes, une fois au pouvoir, se prennent pour des hommes providentiels et ils estiment que sans eux rien n’est possible dans nos pays. Ils veulent rĂ©duire les peuples Ă l’Ă©tat de citoyens Ă©crasĂ©s, manipulĂ©s ».
Selon Guillaume Soro, pour en finir avec les troisièmes mandats en Afrique francophone, il va falloir se dĂ©barrasser des reliques de la monarchie issues des diffĂ©rentes constitutions françaises. Le leader de GPS dĂ©clare: « Nos ambitions Ă©conomiques sont en dĂ©phasage avec le système politique qui est en place. Notre gĂ©nĂ©ration doit s’imposer, avec comme combat: la limitation des mandats. » Seules des institutions fortes, selon lui, peuvent permettre l’indĂ©pendance et la consolidation des pouvoirs. Ce qui n’est rĂ©alisable que dans un rĂ©gime parlementaire et non dans un rĂ©gime prĂ©sidentiel.
EMMANUELLA MARAME FAYE
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